Une siège pour deux

Dès le début, le débat a été lancé: le président «stable» du Conseil européen, inventé par la Convention et confirmé par le Traité de Lisbonne, devait-il être puissant comme le président de la République française ou représentatif comme la reine mère d’Angleterre? Devait-il faire de la politique ou «inaugurer les chrysanthèmes», comme le disait ironiquement De Gaulle?

Pour la France, il n’y a aucun doute: c’est la première hypothèse qui était la bonne. Le président du Conseil européen, qui pourrait vite obtenir le titre de «président de l’Europe», doit être une personnalité charismatique, de stature internationale, capable de parler d’égal à égal avec Barack Obama, Vladimir Poutine ou n’importe quel dirigeant d’une grande organisation internationale.

Ce n’est pas l’avis des Allemands et des «petits» pays-membres. Ceux-ci imaginent que le président est plutôt une sorte de super secrétaire général du Conseil qui gère les affaires courantes entre deux réunions et organise les discussions entre les chefs d’Etat et de gouvernement. Le débat n’est pas tranché alors qu’un premier tour de table sur les nominations pourrait avoir lieu au prochain Conseil européen de la fin octobre et que le Traité de Lisbonne pourrait entrer en vigueur au début 2010.

Nicolas Sarkozy avait son candidat: Tony Blair. Aux yeux du président de la République française, l’ancien premier ministre britannique cumule les avantages. C’est une personnalité d’envergure internationale; il a l’expérience des conseils européens; il est capable de gérer l’inévitable concurrence avec les autres dirigeants européens, que ce soit les présidents tournants (qui ne sont pas abolis par le traité de Lisbonne pour les réunions techniques), ou le président de la Commission, ou le Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune. Ce dernier personnage est potentiellement puissant : il aura un pied dans la Commission (il en sera le vice-président) et un pied dans le Conseil. La question de savoir qui représentera l’Union à l’extérieur, n’est pas tranchée: le président «stable» (élu pour deux ans et demi, renouvelables une fois) ou le quasi ministre européen des affaires étrangères?

Enfin Tony Blair passe, en France, pour le plus européen des Anglais et on se souvient qu’au début de la présidence britannique en juillet 2005, il avait prononcé à Strasbourg un brillant discours en faveur de l’Europe qui… ne fut pas suivi d’effets.

Bien sûr, par sa personnalité, Tony Blair aurait pu faire de l’ombre aux chefs d’Etat et de gouvernements des Etats-membres. Mais cette perspective n’effrayait pas Nicolas Sarkozy qui se promettait de lui rappeler aussi souvent que nécessaire: qui t’a fait roi?
Ce n’est donc pas la raison pour laquelle le président de la République vient de prendre ses distances avec son ancien  favori. Dans un entretien au quotidien Le Figaro, il a expliqué la semaine dernière qu’il était «trop tôt» pour avancer un nom. Il a en effet compris que les chances de Tony Blair s’étaient beaucoup amenuisées, notamment à la suite de la déclaration commune des pays du Benelux qui, sans citer de nom, est clairement opposée à la nomination de l’ancien chef du parti travailliste. Les Belges ont la rancune tenace et n’ont pas oublié que par deux fois, en 1994 et en 2004, Londres a bloqué leurs candidats pour la présidence de la Commission. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker n’a pas apprécié qu’en 2005, Tony Blair ait torpillé son «paquet budgétaire» pour le reprendre à son compte quelques semaines plus tard. Il aurait d’ailleurs pu être lui-même candidat à la présidence «stable» s’il n’y avait un veto de Nicolas Sarkozy qui a peut apprécier «l’effacement» du président de l’eurogroupe pendant la crise financière de 2008. Enfin, les néerlandais verraient bien leur premier ministre Jan-Peter Balkenende à la présidence du Conseil européen.

Les rancunes et les ambitions personnelles ne sont pas les seuls handicaps de Tony Blair. Pour le Parti populaire européen (centre droit) il a le défaut d’être socialiste. Pour le Parti socialiste européen il a le défaut de ne pas l’être assez. Les conservateurs britanniques, qui ont de fortes chances d’arriver au pouvoir dans quelques mois, sont contre sa candidature. D’autres lui reprochent son soutien à George Bush au moment de la guerre en Irak ou sa politique économique trop libérale quand il était au pouvoir, alors que la crise économique a remis au goût du jour l’intervention de l’Etat. Enfin, l’Union européenne peut-elle être présidée par le ressortissant d’un pays qui ne participe pas à toutes les politiques intégrées, qui reste à l’écart de l’espace Schengen et de l’Euro?
Il est donc peu probable que Tony Blair franchisse tous ces obstacles. Mais la question reste entière: qui sera le président «stable» du Conseil européen? Il était implicitement entendu entre les 27 que le président devait être un ancien chef d’Etat et de gouvernement qui ait l’expérience de la machine européenne et en particulier du fonctionnement des conseils européens. Le vivier n’est pas inépuisable. Le Centre for European Reform, un think tank de Londres, vient de lancer la candidature de Pascal Lamy, qui dirige aujourd’hui l’OMC. Pascal Lamy a la connaissance de l’Europe – il a été un proche collaborateur de Jacques Delors et il a été commissaire européen –, il a l’envergure internationale recherchée. C’est un socialiste acceptable par la droite modérée.

L’idée est séduisante mais en fait, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept vont finir par se mettre d’accord sur un «paquet» où il y aura aussi bien le président du Conseil, le Haut représentant et les autres membres de la nouvelle Commission Barroso, en tenant compte d’un subtil équilibre entre les tendances politiques, les «grands» et les «petits», le Nord et le Sud, les anciens et les nouveaux pays membres. Il est impossible de prévoir quels noms sortiront de ces marchandages.

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